Saint-Dominique de Silos, comme tous les monastères, disposait d’une bibliothèque, d’un écritoire et d’archives. La bibliothèque rassemblait ses propres livres et des livres empruntés, nécessaires à la prière collective de la communauté et à la formation continue des moines, en particulier des plus jeunes, par la lecture de textes sacrés et de traités théologiques.
Les archives contiennent des documents, des écrits et des certificats qui permettent d’assurer les droits juridictionnels de l’abbaye, de témoigner de ses relations avec d’autres entités, d’enregistrer les besoins et les événements quotidiens.
L’écritoire nécessitait des personnes compétentes en matière d’écriture et d’illustration. Seules les abbayes les plus importantes excellaient dans la réalisation de leurs propres productions ou dans la copie de manuscrits empruntés. Ce travail de copie à partir d’originaux provenant d’un autre monastère jumeau était une pratique courante tout au long du Moyen Âge.
Le scriptorium de Silos a été un important centre de copie et un producteur de nombreux manuscrits tout au long des Xe et XIe siècles, passant par différentes étapes qui reflètent la situation économique de l’abbaye. Entre la fin du Xe siècle et le début du XIe siècle, un atelier de reproduction de livres a été créé à Silos. À cette époque, le monastère voisin de Valeranica, à Tordomar (Burgos), connu pour l’extraordinaire qualité de ses codex confiés au moine Florencio, disposait d’un important écritoire. Son influence est visible à travers l’œuvre du moine Juan de Silos, auteur en 945 d’un livre notoire pour la communauté, contenant la règle de saint Benoît commentée par le moine-abbé Smaragde, du VIIIe-IXe siècle.
Le travail du scriptorium de Silos durant la première moitié du XIe siècle était très rare et de mauvaise qualité, en raison de l’instabilité et des difficultés économiques du monastère. Ce n’est qu’un fois Dominique devenu abbé en 1040 que la communauté de Silos a commencé à se reconstituer ; les bonnes relations avec le monastère de San Millán de la Cogolla ont permis d’obtenir le prêt de livres pour les copier.
L’abbé Fortunio poursuivit l’œuvre de son prédécesseur. Durant cette période, la réforme liturgique romaine établie par le pape Grégoire VII fut adoptée, entraînant une unification des rituels religieux, un renouveau spirituel et l’organisation des structures ecclésiastiques. Ces changements se reflètent dans le système d’écriture, qui passe de l’écriture wisigothique-mozarabe à l’écriture carolingienne, qui unifie l’alphabet latin afin qu’il puisse être reconnu dans différents endroits. C’est pourquoi les collections de la bibliothèque de Silos contenaient des livres liturgiques dans ces deux différents types d’écriture. Le scriptorium de Silos a été très actif dans le dernier quart du XIe siècle et au début du XIIe siècle. C’est de cette époque que datent les œuvres les plus importantes de Silos : l’Antiphonaire et le Commentaire sur l’Apocalypse de Beatus de Liébana, tous deux conservés à la British Library.
Le codex contenant le Beatus de Liébana est l’un des plus joliment enluminés et des mieux conservés, avec 560 pages et 106 miniatures. Il est rédigé en écriture wisigothique dans un style correspondant aux caractéristiques mozarabes, avec des éléments romans. Sa réalisation a duré plus de deux décennies : le texte, rédigé par les moines Dominique et Nuño sous le règne de l’abbé Fortunio, a été achevé vers 1091 ; les illustrations, ensuite réalisées par le prieur Pedro sous le règne de l’abbé Juan, ont été achevées en 1109. Ce codex contient, outre les commentaires sur l’Apocalypse de saint Jean rédigés par Beatus de Liébana au VIIIe siècle, les commentaires de saint Jérôme sur le livre du prophète Daniel, des textes avec des annotations musicales et d’autres écrits mineurs. Les miniatures constituent tout un catalogue de compositions et de solutions esthétiques, avec des illustrations en double page, en pleine page ou individualisées, sur différents types de fonds – blanc, bandes de couleur. Tous sont des chefs-d’œuvre comprenant entre autres : la vision singulière de l’enfer ; une carte du monde ; la commande faite à saint Jean d’écrire l’Apocalypse ; la représentation des Sept Sceaux, chacun symbolisant 1000 ans, qui seront jugés à la fin des temps ; la lutte du serpent contre le fils de la femme, qui représente la lutte et la défaite de ce dragon à sept têtes, battu par la femme et les anges. Ce codex a eu une vie mouvementée et itinérante : il a quitté Silos au XIVe siècle et, après être passé par diverses bibliothèques religieuses, il est entré à la Bibliothèque nationale d’Espagne, où Joseph Bonaparte l’a récupéré et vendu au British Museum.
Les gloses de Silos sont un ensemble d’annotations, d’explications ou de commentaires écrits dans les marges de plus de vingt manuscrits issus de l’abbaye de Silos. Ces précisions étaient utilisées par l’abbé lorsqu’il expliquait la doctrine aux moines et par les moines eux-mêmes, en particulier les jeunes novices, durant leurs lectures et leurs prières privées. Elles sont contenues dans les livres spirituels qui ont été utilisés durant ce travail de formation. Inclure ces gloses était une tâche laborieuse ; elles étaient généralement déjà écrites dans les manuscrits qui étaient copiés dans les écritoires et, dans de plus rares cas, elles étaient incorporées directement par le copiste. Les manuscrits d’écriture wisigothique de Silos contiennent plus de six mille gloses qui, à l’époque, étaient d’une grande utilité pour les moines. Ce sont aujourd’hui des témoignages importants pour l’étude de la culture médiévale, du latin de l’époque et des origines de l’espagnol. Ces gloses sont rédigées en latin pour clarifier d’autres termes latins, ainsi qu’en romain palladien ou en langue vernaculaire romane. Elles apparaissent dans trois manuscrits de Silos, dont le plus important est une Homélie et un Pénitentiel de la fin du XIe siècle, aujourd’hui conservés à la British Library. Il s’agit d’un livre destiné principalement aux laïcs. Les moines l’utilisaient toutefois pour les sermons afin de transmettre leur message de manière compréhensible. Ce manuscrit est une copie d’un autre existant à San Millan de la Cogolla. Les gloses sont donc les mêmes, ce qui nous renseigne sur les similitudes des expressions orales sur un territoire relativement étendu.